policseeesGenève, 28 sepembre (prep. par Nefail Maliqi)  –Contre toute attente, la cheffe de la police, Monica Bonfanti, tient bon et doit sa longévité à sa force de travail hors norme, une adaptabilité et une loyauté sans faille,  a écrit “Tribune de Genève”, transmise par l’agence de presse «Presheva Jonë», basée à Genève

Entrer en piste, sourire, viser l’excellence, tomber parfois, se relever toujours. Dix ans que Monica Bonfanti, ex-championne suisse de patinage, tient le rythme d’une athlète dans l’une des fonctions les plus périlleuses de la République, cheffe de la police genevoise, à la tête de 2000 fonctionnaires. Attendue au tournant dès ses premiers pas le 1er août 2006, elle a trébuché, surmonté les pressions, en déjouant les pronostics récurrents annonçant sa sortie forcée. La plus ancienne commandante d’une police cantonale romande se fait surnommer affectueusement par ses pairs «la Nonna». Comment expliquer sa longévité?

Attaquée et immunisée

Son entrée en piste relève d’un coup de poker politique. Laurent Moutinot, alors conseiller d’Etat responsable des Institutions, a besoin d’en finir avec une police empêtrée dans des luttes de clans et les scandales. «Je cherchais quelqu’un dans la police mais sans être de la police, pour être accepté, décrypte aujourd’hui l’ex-magistrat. Monica Bonfanti n’était pas issue d’un clan ou d’un autre. Elle avait des qualités intellectuelles indéniables, des titres brillants, dirigeait le laboratoire de police technique et scientifique.» Docteure en criminalistique, spécialiste de la balistique, la Tessinoise maîtrise en plus cinq langues. Mais de tout cela, certains ne retiennent que les apparences. «Elle, la belle blonde, brillante, propulsée à la tête de vieux machos barbus: c’était voué au clash!» se souvient un cadre.

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A son arrivée, c’est le poids des mots, le choc des photos. Elle déclare vouloir «dépolluer le système» dans la Tribune de Genève. Les médias assaillent cette première femme placée à la tête d’une police en Suisse, si jeune du haut de ses 36 ans. Les photographes s’amusent à la faire poser sur le capot d’une voiture puis menottée. Les syndicats se déchaînent, lançant des attaques sexistes. Le politique vient à sa rescousse. «Qui n’a pas fait d’erreur? remarque, conciliant, Laurent Moutinot. Elle a résisté, a montré qu’elle avait du caractère.» De cette première crise, Monica Bonfanti sort immunisée. Les syndicats retiennent la leçon, tandis qu’elle va réussir à les mettre dans sa poche, sans rancune.

Syndicats contre puis avec elle

Surnommée «la Blonde» à l’interne, elle joue de cette image. «Ceux qui pensent vraiment qu’elle n’a rien dans la tête se plantent complètement! Même si au départ elle était incompétente, elle a vite appris. Elle est très, très intelligente. Même dans la non-décision, elle en prend une, en laissant faire les autres. Ce n’est pas pour rien qu’elle est toujours là!» analyse, dithyrambique, le redouté et redoutable Christian Antonietti, ex-président de l’Union du personnel du corps de police (UPCP). Il déclare même: «J’aime la cheffe. J’ai un profond respect pour elle. Elle est d’une grande loyauté vis-à-vis des magistrats qui se sont succédé à la Sécurité, même si elle n’a pas toujours pris des décisions dans notre sens.» La force de Monica Bonfanti est d’avoir su laisser le politique gérer les conflits sociaux.

L’actuel président de l’UPCP, Marc Baudat, complète l’éloge: «C’est de loin le cadre de la police le plus compétent en matière de droit administratif et le plus soucieux du fonctionnement de la police et du collaborateur. Impartiale, elle est une excellente manager.» Jean-Marc Widmer, ex-président de la Fédération suisse des fonctionnaires de police, l’apprécie bien, loue son intelligence, ses compétences techniques et d’analyse, mais il regrette son manque de réactivité: «Elle n’a pas vraiment créé de nouveaux concepts, même si c’est difficile, car elle a d’un côté un chef de département qui donne l’impulsion et de l’autre un parlement qui décide des moyens. C’est une bonne exécutante des décisions politiques.» N’est-ce pas ce qu’on attend d’elle? Fini le temps où le patron d’une police cantonale s’affirmait comme le huitième conseiller d’Etat.

Ses réalisations en dix ans

Mais qu’a réalisé la commandante en dix ans? «En tant que gestionnaire, elle a conduit la police à bon port. Elle lui a aussi fait bénéficier de ses compétences techniques, par exemple en matière d’analyse criminelle opérationnelle», relève l’intransigeant procureur général, Olivier Jornot, l’un de ses interlocuteurs privilégiés. Quant aux grandes réformes, «elle les a bien accompagnées plutôt qu’elle ne les a suscitées». Le grand défi de Monica Bonfanti consiste aujourd’hui à mettre en œuvre la nouvelle Loi sur la police (LPol), dans l’optique de contenir les phénomènes de criminalité. De leur côté, les organes de contrôle s’impatientent de voir la cheffe participer plus activement à la lutte contre les heures supplémentaires, une plaie à Genève. Christian Antonietti résume son action: «Elle a modernisé la police en adaptant l’organisation interne aux contraintes politiques, avec un minimum de dégâts.»

Elle joue les «amortisseurs»

Le rôle de la cheffe de la police dépend étroitement de celui du magistrat chargé de la Sécurité. Monica Bonfanti en a déjà connu trois, aux profils diamétralement opposés, et a su s’adapter à chacun, avec une loyauté sans faille. Laurent Moutinot lui laissait une grande liberté. Isabel Rochat a voulu se séparer de la haut fonctionnaire, qui lui était pourtant indispensable, et s’est heurtée au bouclier de l’UPCP. Quant à Pierre Maudet, il aurait aussi été tenté de la remplacer.

Le conseiller d’Etat dément formellement par e-mail, copie à la commandante: «Cette assertion me fait sourire dans la mesure où tant le rythme de traitement des dossiers que la façon dont nous avons fait face ensemble à toute une série de difficultés classiques dans le domaine policier démentent concrètement l’existence d’états d’âme de ma part sur ce point. (…) Je peux dire ici que la commandante de la police, à l’instar de mes cinq autres directeurs généraux d’offices, n’a jamais failli à ces exigences élevées que j’ai posées à mon arrivée voilà quatre ans; si ce n’était pas le cas, ces hauts fonctionnaires n’occuperaient plus leur fonction.»

Il n’empêche que leur fonctionnement relève souvent du rapport de force. «Pierre Maudet et elle sont comme chien et chat, témoigne un observateur. Quand il la contacte à minuit pour avoir une réponse le lendemain matin, elle s’exécute.» Sur la forme, elle manie l’ironie comme une arme face à lui. Sur le fond, elle peut argumenter sur les points qu’elle juge problématiques, arrivant parfois à le faire changer d’avis.

«Si elle est encore en poste, ce n’est pas parce qu’elle détient des secrets sur le Conseil d’Etat, mais parce qu’elle bosse bien, qu’elle a une capacité à jouer les amortisseurs vis-à-vis de la base. C’est confortable pour un chef de département», analyse pour sa part Olivier Jornot.

Le style Bonfanti est aussi apprécié. «Elle a amené une forme de sérénité à la police. Sa façon de travailler, d’interagir avec les gens en fait un élément apaisant», reconnaît Olivier Jornot. Y compris d’ailleurs auprès du procureur général et du chef de la Sécurité, deux fortes têtes…

Trois crises importantes

Des crises importantes, Monica Bonfanti en a traversé, tel un «iceberg» solide et froid, dit son entourage. Passé le premier choc à son arrivée en 2006, elle a subi le cataclysme politique et diplomatique généré par l’arrestation en 2008 d’Hannibal Kadhafi. A Berne, on aurait bien voulu régler le problème en faisant payer la police, à tort. Dernière secousse en date, celle provoquée par la mauvaise gestion de la manifestation sauvage du 19 décembre, pour laquelle la cheffe n’a pas été visée. Trois crises en dix ans, c’est peu. Une question de chance? Sans doute qu’avec son expérience mêlée à sa rigueur scientifique, la désormais colonelle – grade gagné avec la nouvelle LPol – a appris à neutraliser les problèmes avant qu’ils n’explosent.

Une personnalité complexe

Sa forte personnalité explique aussi sa longévité. «Exigeante avec elle-même, elle l’est aussi avec les autres, allant jusqu’à corriger la moindre virgule dans les rapports qu’on lui soumet», remarque un autre observateur. Elle peut être cinglante, mais jusqu’à un certain point: elle déteste le conflit et l’évite.

«Elle a une intelligence vive. Je ne l’ai jamais vue en panne. Sa capacité de travail est importante et confine à l’esclavage», constate Olivier Jornot. «Elle travaille entre 70 et 80 heures par semaine, témoigne l’ex-numéro deux de la police Jean Sanchez. Pendant des années, elle n’a quasiment pas pris de vacances. Sa vie privée est réduite au minimum.» Quand elle décroche, c’est pour filer chez ses parents au Tessin. Seul son CV livre son statut: célibataire, sans enfants. Personne n’ose aborder sa vie sentimentale depuis que des journaux ont divulgué il y a quelques années ses liaisons. Aujourd’hui encore, elle semble craindre les médias, éléments non maîtrisables à ses yeux. Preuve en est son agacement sur les ondes de la RTS au lendemain de la manifestation sauvage de décembre.

Maîtriser tout, toujours. Telle pourrait être sa devise. Maîtriser son entrée en piste comme sa sortie. Olivier Jornot en sourit: «Personne ne la fera partir. C’est elle qui le décidera un jour.» (TDG)

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