Tribune de Genève: Face-à-face, Deux points de vue sur le rapport de Dick Marty sur le Kosovo Christophe Solioz est le secrétaire général du Center for European Integration Strategies à Genève. Nefail Maliqi est journaliste albanais à lʼONU. Le premier M.Solioz salue et encourage le travail initié par Dick Marty et le second M.Maliqi a critiqué son rapport, transmis par l’agence de presse albaanais “Presheva Jonë” 

L’article du journal suisse “Tribune de Genève” est également publié sur le site personnel de l’ambassadeur Dick Marty (www.dickmarty.ch)

Nefail MALIQI: Nous espérons également que le dernier rapport du sénateur Dick Marty ne porte atteinte ni à l’image du Kosovo ni à celle de la Suisse.

En chemin vers l‟ONU, je tombe sur une affiche de journal qui mentionne: «On t’aime Micheline!» Ma petite-fille Janina, qui m’accompagnait et qui vient à peine d’apprendre à lire, s’écria: «Nous Kosovars, on t’aime aussi, Madame Calmy Rey!»

Je pense que cette même opinion est partagée par des milliers d’Albanais du Kosovo qui se trouvent aujourd’hui sur sol helvétique! Si ce point de vue n’était pas partagé, cette diaspora n’envisagerait pas d’octroyer un prix à la cheffe de la diplomatie suisse comme une reconnaissance envers son rôle et son engagement pour instaurer la paix et la stabilité au Kosovo.

En effet, sa contribution vis-à-vis de cette région est connue dans le domaine humanitaire, politique, allant jusqu’à la reconnaissance de l’indépendance de ce nouvel Etat européen. «Seul un Kosovo indépendant peut se développer économiquement et politiquement, et la Suisse aide à la stabilité de la région en aidant cet Etat à se construire», a estimé la cheffe du DFAE.

C’est pourquoi, ces derniers jours, nous avons tenté de contacter Madame Calmy-Rey afin d’avoir son avis sur la signification de ce nouveau prix que la diaspora albanaise du Kosovo en Suisse souhaitait lui décerner. Dans sa réponse, Madame Calmy-Rey se dit très satisfaite de cegeste de la communauté albanaise, «C’est avec plaisir que j’accepte de recevoir le 21 décembre 2010 le Prix diaspora de la part de la diaspora albanaise en Suisse. Ce prix témoigne des liens d’amitié étroits entre nos deux pays.»

L’ancienne conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey a désormais son nom honoré au Kosovo. Une plaque inaugurée le 3 août en présence de la Genevoise a été dévoilée à Viti, chef-lieu d’une communauté de communes de près de 50 000 habitants, situé au sud-est du Kosovo, entre Pristina et Skopje. Sur cette plaque est écrit «Sheshi i Micheline Calmy-Rey» (Place Micheline Calmy-Rey). C’est l’agence de presse albanaise Presheva Jonë, basée à Genève, qui avait lancé en 2011 déjà l’idée de nommer «Calmy-Rey» une place au Kosovo.

La réponse de Mme Calmy  Rey indique bien que ce prix a été voulu par la diaspora albanaise et non par le gouvernement du Kosovo, même si sa remise était prévue par les mains de l’ambassadeur de Hashim Thaçi à Berne. Autrement, ce prix aurait pu s’appeler «le Prix du gouvernement du Kosovo». Or, clairement, ce prix émane de la diaspora. Cette dernière aurait pu choisir pour remettre le prix une autre personnalité que le représentant de Thaçi en Suisse et ainsi dissiper le malaise du gouvernement helvétique.

Nous espérons que les circonstances qui entourent l‟annulation de la remise de ce prix ne refroidiront pas les relations entre le peuple kosovar et le peuple suisse. Nous espérons également que le dernier rapport du sénateur Dick Marty sur le «trafic d’organes» dans lequel serait impliqué le gouvernement kosovar, ne porte atteinte ni à l’image du Kosovo ni à celle de la Suisse.
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Christophe Solioz : Kosovo, plus d’impunité!

Clair-obscur de l’après-guerre dans l’espace postyougoslave. En dépit des contentieux territoriaux, les relations se normalisent. Il n’en demeure pas moins que la situation économique est chancelante, le chômage préoccupant. Ce qui l’est encore plus, c’est l’existence d’une classe politique s’accommodant d‟un appareil judiciaire sous influence et d’une corruption omniprésente.

La corruption stigmatise non seulement un pays, la Croatie, désormais aux portes de l’UE, mais aussi une contrée qui en reste fort éloignée: le Kosovo. Le rapport fort documenté de Dick Marty, adopté la semaine dernière à l’unanimité par la Commission des questions juridiques de l‟Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, va plus loin. Il jette une lumière crue sur l’implication de responsables de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), dont l’actuel premier ministre du Kosovo, Hashim Thaçi, dans des crimes de guerre et crimes contre l’humanité; il vient notamment confirmer l’existence, à la fin des années 90, d’un trafic d’organes prélevés sur des prisonniers essentiellement serbes mais aussi kosovars albanais.

Pour qui connaît le Kosovo depuis plus de deux décennies s’impose l’impression d’un déjà-vu bien sinistre. Certes, la distribution des rôles était alors autre.. Aucune malédiction ne frappe pourtant cette province égarée dans le labyrinthe politique d’une indépendance toute virtuelle où la démocratie relève pour l’heure du simulacre. Les politiques sont pleinement responsables. Ycompris les acteurs de la communauté internationale qui, trop souvent, se compromettent avec des personnalités corrompues, ferment les yeux sur des pratiques non seulement honteuses mais aussi criminelles.

Rappelons que Carla Del Ponte, la première à mentionner le trafic d’organes et à s’opposer à l’impunité, au Kosovo comme ailleurs, dénonçait également la démission de la communauté internationale, les compromissions des grandes puissances et leur entrave à une justice qu’ils sont pourtant censés promouvoir dans ce pays. Le rapport Marty vient à point nommé rappeler le devoir de justice.

Dénoncer les agissements criminels des uns et des autres ne revient pas à renvoyer dos à dos agresseur et agressés. S’il est scandaleux qu’au Kosovo «on» terrorise, voire liquide les témoins appelés à témoigner devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le fait que le même tribunal autorise la destruction d’une partie des pièces à conviction liées au trafic d’organes l’est tout autant. Dans ces conditions, comment s’étonner que la «greffe de la démocratie» ne prenne point… ou si peu.

Avant que l’UE ne perde totalement la face, il est impératif qu’elle choisisse une politique autrement plus courageuse et mandate sa mission de police et de justice au Kosovo (Eulex) à ouvrir une enquête formelle sur la base du rapport Marty.

L’article du journal suisse “Tribune de Genève” est également publié sur le site personnel de l’ambassadeur Dick Marty (www.dickmarty.ch)

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